Langues

Traduire, un film de Nurith Aviv

Dans le monde de la traduction on parle cette semaine de la sortie en salle du film « Traduire », un documentaire auquel il est difficile de lui mettre un étiquette, on pourrait peut-être dire qu’il s’agit d’une histoire poético-politico-littéraire racontée par des traducteurs eux-mêmes. La scénariste, Nurith Aviv, continue ainsi avec sa trilogie qu’elle avait commencé avec « D’une langue à l’autre » et « Langue sacrée, langue parlée. » Le fil conducteur de ces trois films est l’hébreu. Les traducteurs parlent donc de leur expérience de passeurs de la littérature hébraïque écrite à travers les siècles et ils le font avec beaucoup de passion.

C’est un tour du monde des traducteurs de l’hébreu, on y trouve les noms suivants :

– Sandrick Le Maguer, traducteur en français
– Angel Sáenz-Badillos, traducteur en espagnol
– Yitshok Niborski, traducteur en yiddish
– Anna Linda Callow, traductrice en italien
– Sivan Beskin, traductrice en russe
– Manuel Forcano, traducteur en catalan
– Chana Bloch, traductrice en anglais
– Anne Birkenhauer, traductrice en allemand
– Rosie Pinhas-Delpuech, traductrice en français
– Ala Hlehel,  traducteur en arab

C’est magnifique de voir que ce formidable métier est traitée dans un film-documentaire. Le passage d’une culture à une autre est plus vif que jamais dans ces images. On se rend compte que autrui existe car c’est à travers la découverte d’une autre langue qu’on réalise l’existence même de l’homme, des hommes. Parfois traduire demande de se positionner en tant que guerrier face à sa propre langue maternelle, ce n’est pas facile de tout faire « passer », ainsi donc où en est de tous ces traducteurs automatiques ? (ehem, je vais bientôt vous livrer un billet sur ce sujet..)

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Je vous laisse avec ces quelques lignes, synopse du film-documentaire que vous pouvez trouver sur ce site

« C’est une littérature dans laquelle coexistent souvent différentes strates. Dans l’hébreu moderne, l’entrelacement de toutes ces couches donne souvent lieu à des effets d’humour et d’ironie, mais ne facilite pas la tâche du traducteur.
Anna Linda, traductrice en italien du S.Y Agnon (prix Nobel de littérature) parle même de la « cruauté » de l’auteur qui n’indique pas les sources de ses nombreuses citations. L’hébreu d’Agnon l’a amenée à ce qu’elle appelle l’« agnon-isation » de la langue italienne. Ala Hlehel, traducteur en arabe d’une pièce de théâtre d’Hanoch Levin, dit: « Je devais renoncer aux lois de ma langue… ». Pour Chana Bloch, traductrice en anglais de la poétesse Dahlia Ravikovitch, il s’agit  de « forcer les limites de ce qui est confortable, voire tolérable, en anglais ».
C’est un film avec thème et variation où à partir d’une même langue, des interprétations en voix et en langues différentes se font entendre.

Pour Edouard Glissant, « chaque traduction aujourd’hui accompagne le réseau de toutes les traductions possibles, de toute langue en toute langue ». »

Hélas, ce film-documentaire passe dans très très peu de langues (par « très peu » comprendre qu’une salle à Paris et une salle à Bruxelles) mais la réalisatrice a déjà annoncé que dans deux mois un coffret avec la trilogie sera en vente… nous n’avons plus qu’à attendre ! 

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Langues

Auteur, traducteur, correcteur

Traduction et correction. Quand on traduit on doit toujours laisser la place au correcteur, à celui qui vient derrière nous tel un ange gardien de la langue. Souvent les traducteurs nous faisons preuve d’invention, on explore des nouveaux territoires, on donne des néologismes, on invente des nouvelles acceptions à des vieux vocables… et c’est bien pour cela que nous avons besoin du travail du correcteur. Celui-ci va veiller à la pureté de la langue et fréquemment il reste bouche-bée face aux inventions du premier.

Tant le travail du traducteur comme le travail du correcteur sont des métiers, en quelque sorte, méconnus et peut-être même infra-valorisés. Et pourtant aussi importants ! Que ferions-nous sans cette transposition d’une langue vers une autre ? Combien de choses, de gens, de faits laisserions-nous de côté par incompréhension linguistique ? Notre ignorance ne ferait qu’accroître…

Je voudrais donc, aujourd’hui, traiter des liens que tout traducteur et correcteur devraint entretenir (et je parle au conditionnel car cela reste une hypothèse, malheureusement ce n’est pas toujours le cas). Il faut d’abord souligner qu’il s’agit d’un travail dur, en solitude, qui frôle presque la névrose puisque, avouons-le, il faut être suffisamment maniaque pour passer sa vie à chercher ce que les autres n’ont pas vu. La deuxième qualité est la patience, mot roi de cette profession. Il ne faut pas seulement être patient en ce qui concerne le travail même mais aussi pour toutes les activités collatérales, c’est-à-dire, quand les gens vous demandent, profession, et qu’on répond, Correcteur, quoi correcteur ? Ah, parce que les livres se corrigent, c’est cela.

Même si dans ce monde des éditions, et vu le contexte de crise, le correcteur sera le premier poste supprimé en cas de manque de sous, il faut savoir que de lui dépend le dernier avis avant passage à impression, il détient donc un superpouvoir, celui de la décision finale. C’est pour cela que traducteur et correcteur doivent communiquer constamment.

De tous est connu le caractère isolé des métiers de traducteur ou correcteur, d’autant plus important donc, le dialogue qui doit être instauré entre, d’une part, auteur-traducteur et d’autre part, traducteur-correcteur. Les uns sans les autres cela peut donner des vraies catastrophes.

  Trad

Mes traductions

Au marché de la poésie, à Paris

Samedi dernier, le 19 juin 2010, j’ai eu l’occasion de participer au Marché de la Poésie de Paris. L’Institut Ramon Llull  m’avait confié la tâche de présenter l’acte « La poésie catalane chez Illador« , maison d’éditions pour laquelle je collabora régulièrement en tant que traductrice. Je vous livre, ci-dessous, une partie de mon intervention sur le travail de traducteur de poésie :

Traduire de la poésie, tâche pas facile…

Si on reprend dès le début, si on se situe à l’aube de la naissance des Editions Illador, je dirais qu’il faut surtout mettre en valeur le rêve d’une éditrice que j’ai eu, en quelque sorte, le plaisir de partager.

Parce que des fois on m’a demandé : Vous faites quoi dans la vie ? Mmm, petite hésitation et je me lance à répondre : Je corrige des textes, je fais le tri de documents, des mises en page et parmi d’autres choses et de temps en temps je traduis aussi des poèmes… Ah bon ! Et la réponse s’arrête la, ils ne savent plus quoi dire, et j’ajoute « curieuse occupation » c’est la phrase (et je suis gentille) qui doit traverser l’esprit de la personne qui m’a posée la question… Parce qu’un poème, cela ne se traduit pas, un poème, c’est difficile, et puis encore, un poème ! personne ne lit des poèmes…

Comment garder le rythme et l’émotion ? Prétendre le retrouver dans une autre langue, tâche bien ardue ! L’argument de l’intraduisibilité est aussi vieux que la traduction, on connaît tous le « traduttore traditore ».

Mais sans traductions, non seulement nous serions plus pauvres de tous ces textes qui nous sont inaccessibles dans leur langue d’origine, mais les langues et les cultures aussi seraient bien moins mobiles, bien moins ouvertes les unes aux autres, et par conséquent, bien moins riches. Et je n’aurais jamais pu faire partager un morceau de ma terre sans ces poèmes choisis par Illador.

Mais reconnaissons que pour savoir traduire il faut aussi savoir jongler. Choisir parmi les paramètres : renoncer à la rime, ou à tel jeu de mots, à une référence intertextuelle. Et il faut aussi bien avouer que dans ces choix il y a une part bien liée à la sensibilité du traducteur qui face au papier essaye de faire de son mieux. Il vaut mieux connaître la sensibilité du poète, ou bien maîtriser la langue ? Je laisse la question en l’air….

Que faire quand le texte source combine les registres linguistiques ou les variations régionales ? Tel est le cas dans la poésie des poètes majorquins qu’Illador a choisi de traduire… Les variations dialectales sont quasi impossibles à transposer. Souvent le texte source, qui nous semble tellement ‘authentique’, crée en fait une langue locale difficile à transposer.  Mais le savoir peut aider le traducteur qui a son tour fera intelligemment appel à quelques signes ou quelques marqueurs régionaux, sans embarquer des lecteurs dans l’un ou l’autre dialecte.

En guise de conclusion je dirais qu’en traduction, qu’elle soit littéraire ou économique, les deux conditions essentielles à remplir sont les mêmes : comprendre le texte source, maîtriser suffisamment la langue cible pour que le texte produit fasse chanter les mots sur la même musique. Ici, la musique des iles, musique d’un peuple fier de ses origines et de sa langue.